February 16, 2012

Premiers romans

Lucía Puenzo est née en 1976 et Wendy Guerra en 1970. Que ce soit dans l'Argentine contemporaine ou dans le Cuba des années quatre-vingts, leurs deux romans dépeignent les contrastes sociaux et une certaine violence tout en évoquant l'exil. Les liens familiaux tiennent une importance considérable dans ces œuvres. Mais leur fil conducteur, fantastique d'un côté et poétique de l'autre, c'est l'eau. L'eau apaisante, sensuelle, salvatrice, l'eau d'une nouvelle naissance, la mère nourricière, l'image de la pulsion créatrice, le flux de l'écriture. Car tous ces personnages féminins aiment une chose par-dessus tout : plonger leurs corps dans l'eau.

L'enfant poisson
Dans une langue crue et directe, le narrateur, un chien nommé Serafín, relate l'amour qui naît entre deux très jeunes femmes, Lala et La Guayi. La seconde sert comme domestique dans la famille de la première. Entre les quartiers de la bourgeoisie intellectuelle de Buenos Aires et les rumeurs des villages paraguayens, une relation pleine d'idéalisme s'instaure entre Lala et La Guayi, qui portent en elles de lourdes responsabilités. Charnière très sud-américaine de l'ouvrage, la légende de l'enfant poisson nous emmène entre rêve et réalité, un rêve inventé pour supporter la réalité morbide d'un infanticide. Avec l’enfant poisson, le réalisme magique relie entre eux de nombreux éléments du roman.

Il y a aussi des figures plus éphémères telles que celle de Mara, cette jeune paraguayenne repérée par un trouble individu pour se rendre à de prétendus concours de beauté aux États-Unis. Mais la jeune fille, qui sait ce qu'a vécu son frère, ne veut pas connaître le même sort et les mêmes désillusions. Elle se défigure volontairement pour anéantir toutes ses chances de quitter son village.
À tous les niveaux, ce roman révèle une grande intensité dramatique.

Tout le monde s'en va
En deux parties, "Journal d'enfance" (1978-1980) et "Journal d'adolescence" (1986-1990), ce roman plein d'éléments autobiographiques suit la vie d'une jeune cubaine qui écrit avec rage et poésie et qui, d'enfant, devient femme.
Tout le monde s'en va, c'est ce que constate tous les jours la narratrice Nieve Guerra : d'abord son père, puis son beau-père, les amis de sa mère, ses propres amis et bientôt ses fiancés. Alors, en même temps qu'elle apprend à dire adieu sans se retourner tout en s'épanchant inlassablement dans son journal, elle n'aspire qu'à une chose : partir, s'enfuir ailleurs, n'importe où hors de ce pays où règne une paranoïa généralisée.
Son journal d'enfance s'ouvre avec cette citation de Baudelaire qui lui sied à merveille : "La patrie, c'est l'enfance". Oui, et ici plus particulièrement la mère. Nieve a autant envie de fuir sa mère que son pays. Sa mère, victime du régime cubain, incarne parfois ce pays, quoique à son corps défendant : manque d'intimité, négligence, mais aussi richesses intellectuelles immenses et cachées.

À un moment, alors qu'elle se sent plus que jamais seule, Nieve se rend compte qu'elle ne partira pas de Cuba. "Je regardai ma mère. Elle était comme il y a dix ans, pleurant dans un coin, déçue, lasse et plus maigre que jamais. Je la regardai bien pour ne pas oublier cette minute. C'était mon tour d'être désenchantée et elle le savait parfaitement, bien avant que cela se produise." La narratrice pense cela avec désespoir et soulagement à la fois, le soulagement de s'être enfin révélée à elle-même.
Non sans douleur, c'est alors une véritable renaissance (elle est née en décembre et a passé les moments les plus heureux de son enfance à se baigner dans la lagune de Cienfuegos) : "Je touchai le mur. Je regardai la mer glacée de décembre, je découvris mon visage dans la clarté de l'eau et me retrouvai à nouveau nue selon le rituel familier. D'abord les chaussures, puis les sous-vêtements. Je ne pus calculer les kilomètres qui me séparaient de lui ; je ne regardai pas en arrière, je ne respirai pas profondément et ne pensai même pas aux conséquences. Je me jetai à la mer, plongeant mon corps dans la profondeur tranchante et glacée, qui m'accueillait à nouveau avec naturel." Quand elle nage comme quand elle écrit, Nieve se sent plus libre. À la Havane, parmi les odeurs de "gaz liquide", de "poisson frais" et de politique, une femme est amoureuse et prisonnière de son pays.
Wendy Guerra n'en est pas là à son premier ouvrage puisqu'elle est déjà une poétesse confirmée, mais on lira Mère Cuba, son deuxième roman.

L'enfant poisson : roman / Lucía Puenzo ; traduit de l'espagnol (Argentine) par Anne Plantagenet.
Paris : Stock, impr. 2009. - 205 p.
Collection La cosmopolite.
ISBN : 978-2-234-06340-2 : 18 €
Titre original : El niño pez.

Tout le monde s'en va : roman / Wendy Guerra ; traduit de l'espagnol (Cuba) par Marianne Millon.
Paris : Stock, impr. 2008. - 278 p.
Collection La cosmopolite.
ISBN : 978-2-234-06035-7 : 19 €
Titre original : Todos se van.