March 08, 2011

Pichulita tombera

Dans l’œuvre de Mario Vargas Llosa, Les chiots est un petit récit qui passe presque inaperçu.
C’est pourtant un véritable roman, poignant et grave, qui ne s’oublie pas. Il retrace toute la vie du jeune Cuéllar, surnommé Pichulita / Petit-Zizi après avoir été mordu aux parties génitales par un chien. Dès lors, il s’enfonce inexorablement dans le malheur.
Car il s’agit bien d’une chute, ou plutôt d’une agonie, d’une lutte pour se maintenir à flot, comme ces images de Cuéllar nageant dans les vagues de Lima. On y est irrésistiblement attiré jusqu’à la fin, dans un enchaînement terrible.
Les phrases sont tantôt jeunes et vives, sautillantes comme les personnages, tantôt morcelées et fragiles comme le héros, mais les métaphores sont cruelles comme la société péruvienne qui le rejette.
Avec une pointe de réalisme magique, le style adopté par l’auteur s’avère extrêmement original, les voix s’entremêlent mais le point de vue reste extérieur : nous assistons, impuissants, à la descente aux enfers du pauvre Cuéllar.
La fin du roman est sèche comme la condamnation, pour la première fois explicite, de Cuéllar par ses meilleurs amis. Eux ont choisi – ils l’ont pu – le bon camp, celui des personnes bien sous tous rapports. Cynique et marquant.

Les chiots = Los cachorros / Mario Vargas Llosa ; traduit de l'espagnol, préfacé et annoté par Albert Bensoussan.
[Paris] : Gallimard, impr. 2010. - 126 p.-16 p. de pl.
Collection Folio bilingue.
ISBN 978-2-07-038435-8.

January 16, 2011

Monet pas laid

Une exposition Monet au Grand Palais : c’est l’indispensable culturel du semestre ! Beaucoup trop commercial, aussi. Alors non, je n’irai pas.

Finalement, à force d’entendre les gens en parler, je crois que je vais y aller, pour voir. Après tout, il n’y a que les idiots qui ne changent pas d’avis…

Une fois sur place, c’est peu dire qu’il y a du monde. Sans surprise, l’exposition est organisée selon un plan mêlant thématique et chronologie. Or il s’agit là du problème principal de cet événement. Il n’y a pas d’obligation à faire une présentation originale, et autant de Monet en un seul lieu est en soi extraordinaire. On aurait seulement aimé être plus surpris.

Oui, on revoit Monet avec plaisir : il est toute la peinture de ces deux derniers siècles. Oui, on redécouvre ses chefs d’œuvre avec enchantement : La Pie et ses innombrables nuances de blanc et de gris, la finesse des Coquelicots à Argenteuil, Les Dindons et leurs crêtes rouge vif.
Mis à part une ou deux petites horreurs pour salle de bains qui ressemblent à des nymphéas, Monet réussit tout ce qu’il peint.
Mais l’intérêt principal – et peu original, donc – de cette exposition est de nous donner à voir des Monet qui n’appartiennent pas au Musée d’Orsay. Et ce sont des merveilles.
Sa Capeline rouge (1873, habituellement visible à Cleveland) est magnétique derrière la fenêtre, et on est charmé par d’autres figures, comme Le Déjeuner (1868, Francfort), une grande scène d’intérieur avec femmes et enfant. Monet a produit quelques paysages surprenants de la Creuse, comme Creuse, soleil couchant (1889, Colmar), aux couleurs violentes, presque fauves.
Car Monet est le père de l’impressionnisme mais, en génie hors norme, il annonce aussi les mouvements ultérieurs. Avec par exemple Les Peupliers au bord de l’Epte (1891, Londres, Tate), le peintre abandonne le détail pour la sobriété des grandes touches souples et les volumes. Le tableau Ombres sur la mer à Pourville (1882, Copenhague) a quant à lui des lignes expressionnistes.
On se souvient enfin, en regardant les toiles de son jardin de Giverny, que Monet s’est attaché à représenter la réalité pour mieux s’en détacher. Patiemment en effet, il a façonné son jardin, la nature qu’il voulait peindre. De motif essentiel, la nature est peu à peu devenue le prétexte abstrait de sa peinture. L’art de Monet n’a eu de cesse de reproduire la réalité pour ensuite créer la sienne.

Alors cette exposition est belle, oui, et complète, en réunissant un nombre impressionnant de toiles du maître. Mais malgré des commentaires simples, elle reste un peu prétentieuse et sa mise en scène trop solennelle.
On pourra donc la prolonger en retournant dans des musées de taille plus modeste mais plus sympathiques. À Paris, le musée de l’Orangerie et ses Nymphéas, le musée Marmottan et Impression, soleil levant, parmi les chefs d’œuvre de leurs magnifiques collections. Mais aussi, les pieds dans l’eau, le musée Malraux du Havre, par exemple.

From 22/09/2010 to 24/01/2011
Galeries nationales, Grand Palais
Paris
www.monet2010.com

October 30, 2010

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage...

Il est de ces choses précises que l’on recherche en vain pendant très longtemps. Pour moi il en était ainsi d’un livre sur la mythologie grecque. Le livre se devait d’être parfait, remplir toutes les conditions : être complet et agréable sans provoquer une indigestion. Il y eut quelques déceptions, comme La mythologie pour les nuls. Puis plus rien.

Et un jour, par hasard, au détour d’un rayon, il est apparu : La mythologie : ses dieux, ses héros, ses légendes, par Edith Hamilton. Parfait, peut-être pas tout à fait car ce petit livre, peu coûteux il est vrai, révèle vite une reliure de piètre qualité et d’innombrables coquilles. Mais peu importe. Le contenu, lui, est solide.

Tout y est, ou presque : Persée, Thésée et son règne sur Athènes, Hercule, la conquête de la Toison d’Or, Ulysse et son odyssée, Enée, Œdipe, les Danaïdes… Les histoires vivent d’elles-mêmes comme de petites nouvelles. Elles peuvent être lues indépendamment les unes des autres. En même temps, elles font le lien qui nous manquait parfois entre des personnages ou des événements et nous rappellent les origines de certains noms. Le sacrifice d’Iphigénie et la guerre de Troie, Charybde et Scylla, Pygmalion, Europe ou encore la chèvre Amalthée.

Détail essentiel, avant chaque légende l’auteur cite ses sources et ce qu’elle leur a emprunté, des Latins Virgile ou Ovide aux Grecs Homère, Eschyle, Sophocle, Euripide et Apollodore, pour ne citer qu’eux.
Enfin, ni ampoulé ni faussement amical, le style est simple, avec un petit accent kitsch qui sied parfaitement à la mythologie.

Ah oui, au fait : la première édition de cet ouvrage date de 1940… Comment dit-on déjà ? C’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe.

La mythologie : ses dieux, ses héros, ses légendes / Edith Hamilton ; traduit de l'anglais par Abeth de Beughem.
Alleur (Belgique) : Nouvelles éditions Marabout, 2006.
1 vol. (450 p. et 32 p. de planches) ; 18 cm. Index.
ISBN 978-2-501-05296-2.
6,90 €