May 25, 2011

Les mots

Dans La tante Julia et le scribouillard, Mario Vargas Llosa nous livre un récit d'inspiration autobiographique, écrit à la première personne : Varguitas a dix-huit ans et rêve de devenir écrivain. Il tente de faire publier les nouvelles qu'il écrit pendant le temps que lui laissent d’ennuyeuses études de droit et son petit emploi de journaliste dans une radio de Lima. Il tombe amoureux de Julia, sa tante par alliance, de quinze ans son aînée et récemment divorcée.

Le roman nous conte ainsi les amours semées d'embûches de Julita et Varguitas, tandis que s'y imbrique l'univers très sud-américain des feuilletons radiophoniques. Comme les auditeurs péruviens, nous suivons les épisodes que Pedro Camacho, l'écrivain à succès si prolifique, fait naître de son imagination apparemment insatiable. Mais bientôt la machine se dérègle et les personnages radiophoniques se mélangent. Pourtant, alors que l'on se lasse un peu de ces histoires qui dégénèrent, les projets du narrateur nous tiennent de plus en plus en haleine. Et les deux lignes du roman se rejoignent ici, dans une réflexion sur l'écriture qu'annonçait déjà l'épigraphe. Qu'est-ce qu'écrire ? Quels sont les critères qui permettent de désigner quelqu'un comme écrivain ou comme journaliste ? Peut-on vivre de l'écriture ? Jusqu'où l'écrivain maîtrise-t-il ses personnages ? Telles sont les questions que se pose notre jeune narrateur et aspirant écrivain pendant qu'il observe avec admiration Pedro Camacho au travail. Ce qui permet en plus à Mario Vargas Llosa de jouer avec les idées reçues, nombreuses en la matière.

Dans ce roman volubile, l'auteur montre aussi qu'il aime les mots. La langue est à l'image de tante Julia, rapide et "fraîche comme une laitue". Les mots foisonnent, surgissent joyeusement et nous surprennent. Une richesse de vocabulaire et une légèreté de ton qui se savourent avec jubilation.

Or malgré le déclin et jusqu'à la fin, Pedro Camacho garde sa supériorité grâce aux mots qu'il emploie. Aurait-on trouvé là l’une des caractéristiques des grands écrivains ? Assurément, et nous en avons un parfait exemple sous les yeux. Parfait côté romancier, bien sûr. Quant à l’homme et sa volte-face politique, c’est une autre histoire.

La tante Julia et le scribouillard / Mario Vargas Llosa ; traduit de l'espagnol par Albert Bensoussan.
[Paris] : Gallimard, impr. 2010. - 469 p. - Collection Folio.
ISBN 978-2-07-037649-0.

March 08, 2011

Pichulita tombera

Dans l’œuvre de Mario Vargas Llosa, Les chiots est un petit récit qui passe presque inaperçu.
C’est pourtant un véritable roman, poignant et grave, qui ne s’oublie pas. Il retrace toute la vie du jeune Cuéllar, surnommé Pichulita / Petit-Zizi après avoir été mordu aux parties génitales par un chien. Dès lors, il s’enfonce inexorablement dans le malheur.
Car il s’agit bien d’une chute, ou plutôt d’une agonie, d’une lutte pour se maintenir à flot, comme ces images de Cuéllar nageant dans les vagues de Lima. On y est irrésistiblement attiré jusqu’à la fin, dans un enchaînement terrible.
Les phrases sont tantôt jeunes et vives, sautillantes comme les personnages, tantôt morcelées et fragiles comme le héros, mais les métaphores sont cruelles comme la société péruvienne qui le rejette.
Avec une pointe de réalisme magique, le style adopté par l’auteur s’avère extrêmement original, les voix s’entremêlent mais le point de vue reste extérieur : nous assistons, impuissants, à la descente aux enfers du pauvre Cuéllar.
La fin du roman est sèche comme la condamnation, pour la première fois explicite, de Cuéllar par ses meilleurs amis. Eux ont choisi – ils l’ont pu – le bon camp, celui des personnes bien sous tous rapports. Cynique et marquant.

Les chiots = Los cachorros / Mario Vargas Llosa ; traduit de l'espagnol, préfacé et annoté par Albert Bensoussan.
[Paris] : Gallimard, impr. 2010. - 126 p.-16 p. de pl.
Collection Folio bilingue.
ISBN 978-2-07-038435-8.

January 16, 2011

Monet pas laid

Une exposition Monet au Grand Palais : c’est l’indispensable culturel du semestre ! Beaucoup trop commercial, aussi. Alors non, je n’irai pas.

Finalement, à force d’entendre les gens en parler, je crois que je vais y aller, pour voir. Après tout, il n’y a que les idiots qui ne changent pas d’avis…

Une fois sur place, c’est peu dire qu’il y a du monde. Sans surprise, l’exposition est organisée selon un plan mêlant thématique et chronologie. Or il s’agit là du problème principal de cet événement. Il n’y a pas d’obligation à faire une présentation originale, et autant de Monet en un seul lieu est en soi extraordinaire. On aurait seulement aimé être plus surpris.

Oui, on revoit Monet avec plaisir : il est toute la peinture de ces deux derniers siècles. Oui, on redécouvre ses chefs d’œuvre avec enchantement : La Pie et ses innombrables nuances de blanc et de gris, la finesse des Coquelicots à Argenteuil, Les Dindons et leurs crêtes rouge vif.
Mis à part une ou deux petites horreurs pour salle de bains qui ressemblent à des nymphéas, Monet réussit tout ce qu’il peint.
Mais l’intérêt principal – et peu original, donc – de cette exposition est de nous donner à voir des Monet qui n’appartiennent pas au Musée d’Orsay. Et ce sont des merveilles.
Sa Capeline rouge (1873, habituellement visible à Cleveland) est magnétique derrière la fenêtre, et on est charmé par d’autres figures, comme Le Déjeuner (1868, Francfort), une grande scène d’intérieur avec femmes et enfant. Monet a produit quelques paysages surprenants de la Creuse, comme Creuse, soleil couchant (1889, Colmar), aux couleurs violentes, presque fauves.
Car Monet est le père de l’impressionnisme mais, en génie hors norme, il annonce aussi les mouvements ultérieurs. Avec par exemple Les Peupliers au bord de l’Epte (1891, Londres, Tate), le peintre abandonne le détail pour la sobriété des grandes touches souples et les volumes. Le tableau Ombres sur la mer à Pourville (1882, Copenhague) a quant à lui des lignes expressionnistes.
On se souvient enfin, en regardant les toiles de son jardin de Giverny, que Monet s’est attaché à représenter la réalité pour mieux s’en détacher. Patiemment en effet, il a façonné son jardin, la nature qu’il voulait peindre. De motif essentiel, la nature est peu à peu devenue le prétexte abstrait de sa peinture. L’art de Monet n’a eu de cesse de reproduire la réalité pour ensuite créer la sienne.

Alors cette exposition est belle, oui, et complète, en réunissant un nombre impressionnant de toiles du maître. Mais malgré des commentaires simples, elle reste un peu prétentieuse et sa mise en scène trop solennelle.
On pourra donc la prolonger en retournant dans des musées de taille plus modeste mais plus sympathiques. À Paris, le musée de l’Orangerie et ses Nymphéas, le musée Marmottan et Impression, soleil levant, parmi les chefs d’œuvre de leurs magnifiques collections. Mais aussi, les pieds dans l’eau, le musée Malraux du Havre, par exemple.

From 22/09/2010 to 24/01/2011
Galeries nationales, Grand Palais
Paris
www.monet2010.com