January 05, 2009

Dufy l'antimoderne

À l’abri de la cohue des expositions à gros budget d’artistes stars, Raoul Dufy nous attend, discret mais sûr de lui, dans le calme et l’espace des salles du Musée d’Art moderne.

Le titre de l’exposition est tiré d’une affirmation de la femme de lettres et collectionneuse Gertrude Stein, qui écrivit en 1946 « Raoul Dufy est plaisir ». Ce titre est d’abord une question : Raoul Dufy est-il ce peintre de la légèreté, dont les thèmes faciles et colorés des courses hippiques et des régates furent la prédilection ? Cette épithète est-elle représentative du peintre ? Car effectivement, on connaît surtout de lui ses tableaux apparemment superficiels des années 1930.
Paysage de Vence, 1908
Musée d’Art moderne de la Ville de Paris
© Musée d’Art moderne/ Roger-Viollet
© ADAGP, Paris 2008
Selon une progression mêlant thématique et chronologie, l'exposition présente le cheminement varié du peintre havrais (1877-1953) à travers plus de 200 de ses œuvres, peintes pour la plupart, mais aussi à travers des dessins, des gravures, des céramiques et des tissus.
Très influencé par Boudin, autre peintre normand, et par les motifs impressionnistes de Claude Monet, le premier tournant de son œuvre survient en 1905, devant le tableau de Matisse "Luxe, calme et volupté". Dufy se libère alors définitivement de l'impressionnisme pour entrer avec conviction dans le fauvisme. C'est le seul mouvement pictural auquel il adhérera complètement, c'est aussi le mouvement qui va le plus marquer son style par la suite. Mais contrairement aux autres fauves, Dufy privilégie les scènes populaires dans un paysage. Ses premières séries apparaissent, parmi lesquelles les toiles du 14 juillet, colorées et festives.
Puis Dufy étudie Cézanne et se rapproche un temps du cubisme, mais sans véritablement renoncer à la couleur, restée fauve, ou à l'arabesque. La tentative d'austérité cubiste ne lui convient pas.
Parallèlement, Dufy n'a de cesse de puiser dans l'art populaire. Ses gravures illustrent délicieusement le Bestiaire d'Apollinaire, publié en 1911, tandis qu'il crée des cartes postales pour sa petite entreprise de propagande pendant la Première Guerre mondiale. Mais sa rencontre avec le couturier Paul Poiret et sa collaboration avec l'entreprise de soierie Bianchini-Férier offrent à Dufy la meilleure occasion de se diversifier et de donner libre cours à son imagination. À partir de 1910 et pendant une vingtaine d'années, Dufy réalise ainsi une multitude de travaux décoratifs comme des tentures, des publicités, ou encore ce paravent représentant un Panorama de Paris (1929-1933).
Avec Le jardin abandonné en 1913, le style de Dufy commence à s'affirmer. Cette tendance se poursuit dans les années 1920. On découvre avec émerveillement ses séries d'aquarelles délicates du Maroc et de Venise. Dorénavant, les couleurs subtiles de ses toiles comme le Thé chez le pacha de Marrakech (1926) font de lui, aux yeux de ses contemporains, un maître de l'aquarelle rehaussée de gouache.
Dufy a trouvé son style tout en souplesse et en vivacité, chatoyant avec souvent ces traits noirs que l'on apercevait à ses débuts. Il réalise peu de portraits mais des séries aux fenêtres, des séries d'ateliers, de courses hippiques ou encore des séries musicales et de grands orchestres, dans lesquelles une couleur dominante donne son unité au tableau. La dernière série, celle des Cargos noirs réalisés à la fin de sa vie, fait le lien entre son thème d'élection depuis ses débuts, la mer, et un aspect plus sombre du peintre, avec ces masses noires qui font flotter une atmosphère inquiétante sur les tableaux. Pour nous rappeler que Dufy n'est pas que légèreté.
Bateaux pavoisés, 1931
Collection particulière
© Jean-Louis Losi
© ADAGP, Paris 2008
L'exposition se conclut avec la monumentale Fée Électricité, fresque réalisée par Dufy pour l’Exposition Internationale des Arts et Techniques de 1937 et qui fait partie de la collection permanente du musée.
Le plaisir, titre de l'exposition, est donc bien choisi : il est à la fois réducteur et revendicatif. Réducteur parce qu’il traduit volontairement notre méconnaissance du peintre, tout en lui attribuant ce qualificatif une nouvelle fois, après réflexion et sans vergogne. En prouvant de plus que la légèreté n'est pas nécessairement superficielle.

Raoul Dufy est en définitive un moderne méconnu. Plus exactement, ce que l’exposition sous-entend ainsi, c’est que Dufy est à sa façon un antimoderne. Non pas un conservateur, car ce peintre touche-à-tout, on l’a bien vu, vit avec son temps. C’est un moderne qui emprunte les chemins de traverse, un moderne que l'on ne peut limiter à une étiquette. Il fraye avec les avant-gardes mais navigue souvent à côté, il innove tout en résistant, avec des pointes de nostalgie dans son coup de pinceau et ses couleurs. Il est indéfinissable mais reconnaissable entre tous, il a construit peu à peu ce style qui n’est léger qu’en apparence. Dufy est un antimoderne, c’est-à-dire qu’il est moderne mais libre. Et cela pour notre plus grand plaisir.

« Raoul Dufy : le plaisir » : jusqu'au 18 janvier 2009
Musée d’Art moderne de la Ville de Paris
11 avenue du Président Wilson
75116 Paris, France
Tarif plein : 9 euros Tarif réduit : 6 euros / tarif jeune : 4.5 euros
Tél. : 01 53 67 40 00
Du mardi au dimanche de 10h00 à 18h00, nocturne le jeudi jusqu’à 22 heures
www.mam.paris.fr